Cameroun :: Quand les femmes enceintes et enfants « mineurs » souffrent le martyr dans les sites miniers de l’Est-Cameroun

En dépit des mesures prises par les pouvoirs publics pour protéger ces catégories sociales vulnérables, leur présence en plus grand nombre sur les sites miniers ne cesse d’inquiéter.

Gibrile KENFACK TSABDO, reportage réalisé grâce au soutien financier du Réseau des Journalistes scientifiques d’Afrique francophone (RJSAF)

Les gouttes de sueur perlent encore sur le visage de Yakundu, au moment où elle s’apprête à quitter un site minier artisanal à Kambele, dans le département de la Kadey, région de l’Est-Cameroun, en cette soirée du 12 février 2024. La jeune fille d’à peu près 30 ans vient à notre rencontre avec une forme arrondie, signe évident de ce qu’elle est enceinte. Seulement, elle porte sur la tête un sac de caillasses de 25kg. Le visage exténué, la mine grave, cette dernière explique les motifs de sa présence dans la mine. « Je suis venue chercher l’argent parce qu’il y a la galère. En plus, j’ai déjà trois enfants qu’il faut nourrir. C’est vrai que les hommes ne veulent même pas que j’accède au chantier. Mais, je leur ai dit que je ne peux pas supporter de rester à la maison. C’est pour ça que je suis venue chercher les caillasses », confie Yakundu.

Son quotidien semble être réglé comme du papier à musique : elle sort à 10h et rentre autour de 16h, soit six heures de travail au total dans la mine. Ses journées se suivent et se ressemblent. « Je ramasse les caillasses sans pelle. Je pars concasser avec la main. Après on sèche et ensuite écrase à la machine. A la fin, on met dans la piscine et on lave », relate-t-elle. Seulement, elle n’utilise pas le mercure, « parce que ce n’est pas bon pour sa santé », reconnaît la jeune femme. Son cas n’est pourtant pas isolé, à en croire Bruno, rencontré sur un des sites miniers de Kambele. A son avis, plus de 500 femmes sont en activité par jour sur ce seul site. « Il n’y a pas de tâches particulières qui leur sont attribuées. Nous travaillons de 8h à 16h, mais les femmes viennent autour de 10h. Certaines qui ont accouché reviennent dans la mine après deux ou trois mois de maternité », ajoute notre interlocuteur.

Les enfants mineurs assoiffés d’or

Le fait que l’activité soit lucrative attire également les enfants, qui sacrifient leurs études pour quelques grammes d’or. Agée de 14 ans, Nina S., confie que c’est sa mère qui l’a initié à ce qui est devenu son métier, quand elle n’avait que 10 ans. « J’utilise la pelle pour creuser. Chaque jour, je rentre avec un montant entre 3500 F et 5000 F », révèle-t-elle, sourire aux lèvres. Leïla par contre est décidée à poursuivre ses études, avec le produit de la mine. Celle qui est élève en classe de CM2 dans une école primaire de Colomine dans l’arrondissement de Ngoura, travaille dans la mine à temps partiel, pour « avoir l’argent de la pension et des fournitures scolaires ».

Au-delà de ces deux clichés, nous avons remarqué que les déperditions scolaires sont légion dans les localités parcourues. La preuve : lorsque la Société nationale des mines (Sonamines) lance la phase pilote de l’opération « Zéro enfant dans la mine » en septembre 2021, l’on se rend compte qu’à l’école publique de Kambele 2, seuls 263 élèves sur 580 inscrits ont fréquenté jusqu’en fin d’année scolaire 2021-2022. Malgré les déperditions scolaires, les choses sont en train de changer », selon Sa Majesté Symphorien Haïto, chef traditionnel de deuxième degré à Colomine. « C’est le fruit de la sensibilisation engagée par les chefferies. On ne veut plus voir un enfant errer aux heures de classe », martèle l’autorité traditionnelle.

L’Etat camerounais et ses partenaires sur la ligne de front

Le 30 août 2021, une décision du Ministère de l’Industrie, des Mines et du Développement technologique (Minmidt) interdisait formellement la présence des enfants mineurs dans les sites miniers. « Est strictement interdit, pour compter de la date de signature de la présente décision, l’accès des enfants mineurs aux sites d’exploration, d’exploitation minières sur toute l’étendue du territoire national, de même que toute forme de travail à l’intérieur desdits sites impliquant les enfants en deçà de l’âge obligatoire de scolarité tel que prévu par la réglementation en vigueur », indiquait la décision du ministère en charge des Mines au Cameroun. Dans la foulée, la décision enjoignait les brigades nationales et régionales et de contrôle des activités minières, de procéder à des descentes ciblées pour constater les violations de cette prescription par tout opérateur titulaire d’un titre minier et suggérer des mesures correctives appropriées.

Dans un rapport sur la situation du secteur de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle publié par la Banque mondiale en février 2024 à l’occasion de la conférence annuelle Mining Indaba, il a été révélé que les femmes qui représentent environ 1/3 de la main-d’œuvre de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle, font l’objet de discriminations fondées sur le genre. De même, les conditions liées à leur santé, à leur sécurité et à leur protection sociale sont limitées. « Les femmes travaillant dans l’exploitation minière artisanale et à petite échelle sont confrontées à des défis considérables qui exigent une action urgente pour garantir leur sécurité et leur épanouissement tant à la mine que dans leur foyer », a indiqué le directeur mondial de la Banque mondiale pour l’énergie et les industries extractives, Demetrios Papathanasiou.

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